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Défense. L’utilité du CP redéfinie

Publiée en avril 2013 dans PPP Mag

Le 17 juin 2004, la publication de l’ordonnance n°2004-559 relative aux contrats de partenariat est un acte de rupture.

Dans un pays de tradition étatiste où la personne publique prend le pas sur son cocontractant, l’unilatéralisme était la règle et le partenariat l’exception. En 2004 pourtant, l’État renoue avec l’idée partenariale, importée des contrats privés. Le contrat dit de « partenariat » (CP), renforcé par la loi de modernisation de 2008, introduit ainsi l’idée de démarche coopérative. Il vise à l’instauration d’une véritable logique « gagnant-gagnant », allant jusqu’à consacrer l’existence juridique de l’initiative spontanée, bousculant le principe séculaire de l’autodétermination des besoins publics en droit de la commande publique français. En effet, aux termes de l’article 10 de l’ordon¬nance précitée, « lors¬que la personne pu¬blique est saisie d’un projet par une entre¬prise ou un groupe¬ment d’entreprises et qu’elle envisage d’y donner suite en concluant un contrat de partenariat, elle conduit la procédure de passation dans les conditions prévues par les articles 2 à 9 de la présente ordonnance ».

Dans le secteur de la Dé¬fense, le CP a été initialement perçu comme un possible levier de financement de l’outil de défense français, dans un contexte budgétaire contraint. Il devait permettre la réalisation d’économies conséquentes selon une démarche résolument in¬novante : le passage de l’acqui¬sition patrimoniale à l’achat d’un service. Dès la publication de l’ordonnance, le ministère de la Défense a ainsi été le plus proactif. Plusieurs projets ont été lancés et le plus embléma¬tique d’entre eux, Helidax (at¬tribué au groupement DCI-INAER) voit le jour début 2008. Depuis, il semblerait que le re¬cours aux CP expose le minis¬tère de la Défense à certains regards critiques.

 

LES EXPÉRIENCES CROISÉES DES MINISTÈRES DE LA DÉFENSE BRITANNIOUE ET FRANÇAIS

Pour autant, il serait maladroit d’écarter par principe le recours au CP, à l’heure où le besoin de financement d’équipements de défense n’a jamais été aussi fort, Les détracteurs du recours au : CP en matière de défense bran- dissent souvent l’expérience britannique comme contre- modèle. Outre-Manche, le gouvernement britannique avait anticipé l’effet ciseau né de la raréfaction des finances publiques et de l’accroissement des besoins d’investissement. II a, dès le milieu des années 1990, diversifié les modalités de concours du secteur privé au financement et à l’exploitation des services publics, par le recours massif aux contrats dits de Private Finance : Initiative (PFI). Le Ministry of Defence (MoD) a ainsi eu recours au PFI pour financer des équipements militaires : en 2011, plus de 50 contrats étaient signés pour un montant global supérieur à 9 milliards de livres. Parmi ces contrats, dont certains ont une durée de 35 ans, les trois plus importants en montants sont le contrat dit FSTA (avions ravitailleurs), le contrat dit Skynet 5 (communications satel¬litaires) et le contrat d’Allenby Connaught (infra¬structure et services). À eux trois, ces contrats re¬présentent plus de 4 mil¬liards de livres.

Au total, les PFI bâtimentaires ne représentent que la moi¬tié des contrats signés (en valeur) ce qui éclaire l’approche britannique de ce type de contrat : le recours au PFI répond à une volonté ministérielle d’achat d’un service. Dresser un premier bilan du PFI britannique n’est guère aisé. Plusieurs rapports contradictoires ont été publiés. Alors que le consensus se fait sur le respect global des délais et des coûts, les effets du recours au PFI sur les fi¬nances publiques britanniques sont sujets à débat. Les rapports d’audit public pointent certains écueils du PFI comme le surdimensionne¬ment du contrat FSTA, souvent mis en avant. Mal négocié, ce contrat a en¬traîné l’achat par la Grande- Bretagne d’un trop grand nombre d’heures de vol de MRTT. Pour pallier cette surcapacité, le MoD a proposé, sans succès, la vente d’heures de vol à la France à l’automne 2011. Or, voir en ces réserves une dis¬qualification définitive du PFI atteste d’une certaine mécon-naissance des mécanismes de la gestion publique outre-Manche. À l’inverse de la France, le mode de gestion est moins perméable au principe de précaution et plus volontiers expérimental. Il serait alors hâtif d’enterrer le PFI sur le seul fondement de quelques déclarations choisies en provenance de la Chambre des Communes. Si le re¬cours au PFI cherche aujourd’hui son point d’équilibre, les capacités de projection de l’ar¬mée britannique ne sont pas entamées, ses équipements sont fi-nancés et ses avions ravitailleurs ont le mérite de présenter des taux de disponibilité large¬ment supérieurs à ceux de la France…

En France, le mi¬nistère de la Défense est le premier à s’être intéressé aux avantages du CP et ce, dès le lan¬cement de la Stratégie ministérielle de réforme (SMR) en 2003 qui avait pour objet initial de définir un cadre gé¬néral à la démarche d’externa¬lisation au sein du Ministère de la Défense. Plusieurs projets sont rapidement identifiés. Ils débouchent sur la notifica¬tion des CP dits « Helidax », « Balard », « RDIP Air », « Roc Noir », « CNSD » et « ISAE », soit un total de six contrats à la fin de la XIIIe législature en 2012. Parmi eux, les CP Helidax et RDIP Air se distinguent par leurs performances. Ils demeu¬rent aujourd’hui les seuls CP dits « équipementaires ».

He¬lidax bénéficie du recul néces¬saire à la formulation d’un pre¬mier bilan critique. Le contrat porte sur la fourniture d’heures de vol au profit de l’École de l’aviation légère de l’armée de terre basée à Dix. D’une très grande lisibilité, il partage les risques entre le partenaire privé qui réalise les investissements nécessaires d’une part, et la partie publique qui lui rému¬nère les heures de vol effectuées d’autre part.

Le contrat prévoit un montant plancher corres¬pondant à un nombre minimal d’heures de vol auquel s’ajoute une part variable. Au-delà de la 22 000e heure de vol, soit le plafond, l’heure est facturée au coût marginal. Dans son rapport de février 2011 consacré au coût et aux bénéfices atten¬dus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense, la Cour des comptes constate que les 36 hélicoptères EC 120 « Colibri » ont un taux de disponibilité parfaitement conforme. Le cœur de métier militaire a été préservé, la qua¬lité du service est supérieure et des gains budgétaires sont constatés.

RDIP Air consiste pour sa part en la modernisation des transmissions de l’armée de l’air. 36 000 points de desserte IP doivent être équipés d’ici 2014, et l’exploitation sera as¬surée par le consortium Alcatel Lucent – Cofely Ineo jusqu’en 2027.

Ineo, filiale du groupe GDF Suez, est spécialiste des infrastructures techniques de défense. Le contrat court sur une durée de 16 ans pour une valeur de 350 millions d’euros. Outre la qualité de service, l’Etat en attend un réel bénéfice éco-nomique grâce à la mutualisation de ressources d’ingénierie employées sur d’autres projets, ainsi qu’à la vitesse de déploiement des réseaux.

 

L’INJUSTE ESSOUFFLEMENT DU CP DANS LA DÉFENSE

Aujourd’hui, l’élan semble pourtant retombé. Des deux derniers projets de CP encore en phase de passation au début de la XIVe législature, le projet dit « RoRo », portant sur la mise à disposition de cinq navires rouliers au profit du ministère de la Défense, a été abandonné le 29 octobre 2012. Cet aban¬don n’annule pourtant pas le besoin du ministère en moyens de projection et au-delà des navires rouliers, plusieurs équipements des armées doivent être urgemment renouvelés sans que le ministère ne dispose véritablement des ressources nécessaires pour procéder à une acquisition patrimoniale.

Or reporter l’achat de nouveaux équipements augmente le coût de maintien en condition opérationnelle et diminue le taux de disponibilité des équipements actuels. Le tout dernier CP en phase de passation, dit U II serait maladroit d’écarter par principe le recours au CP, à l’heure où le besoin de financement d’équipements de défense n’a jamais été aussi fort BSAH portant lui sur la fourniture de huit navires d’assistance hauturière au profit de la Marine nationale, devrait être adjugé dans le courant de l’année 2013.

En matière aéronautique, l’absence de stratégie de renouvellement des parcs d’avions : ravitailleurs et d’avions de transport tactique (ATT) obère la capacité de projection de l’armée française. Pour assurer le ravitaillement en vol, l’armée de l’air française dispose de C135 et de KC135.

Les premiers ont été livrés par Boeing en 1964, voici 49 ans. D’ici peu, 3 des 14 appareils qui composent la flotte actuelle seront interdits de vol hors du territoire national, pour des raisons de sécurité.

Si le paragraphe 4.3.1 du rapport annexé à la LPM 2009- 2014 appelle à un financement du renouvellement de ces aéronefs au moyen d’un PPP, à ce jour, aucune orientation ne semble cependant se dessiner. Parallèlement, le parc d’ATT de l’armée de l’air se réduit pro¬gressivement : forte de 99 aé¬ronefs en 2004, la flotte s’est réduite à 84 en 2010 (51 C160, 14 C130 et 19 CASA). L’année 2018 marquera vraisemblable¬ment la disparition de presque 50 % de capacité de la flotte tactique, à savoir les gros porteurs militaires. Seule une soixantaine d’appareils seraient alors disponibles sous réserve que les A400M soient effectivement livrés selon le calendrier corrigé.

Dans ce contexte, le non recours au CP conduit le ministère de la Défense à se couper de sources de financement privé au moment où les ressources publiques se raréfient. Le succès du contrat Helidax démontre à lui seul que le modèle du CP ne peut être écarté par principe. A l’heure où les dépenses d’équi¬pement pourraient faire l’objet de nouvelles coupes claires, seul le modèle partenarial permet de dégager des marges de ma¬nœuvre. Le recours au CP per¬met de confier le financement et la maintenance d’équipe¬ments neufs à des partenaires privés qui s’engagent sur la fourniture d’un service.

Le mi¬nistère de la Défense ne décaisse alors l’argent public qu’en fonc¬tion du strict périmètre de son besoin et il s’affranchit ainsi des coûts de maintenance liés à la sous-utilisation de ses actifs ou à leur vieillissement. Ce pas¬sage d’une logique patrimoniale à une logique capacitaire éclair¬cirait ainsi des horizons que les acteurs du secteur de la défense perçoivent légitimement comme assombris.

 

LE CP POUR DÉFENDRE LA GRANDEUR DE LA FRANCE ?

L’indépendance de la Nation implique celle de son outil de défense et le renouvellement des équipements de défense passe par le renouveau du CP dont les potentialités, en matière de service, restent largement sous-exploitées. Convaincu que la France « n’est réellement elle-même qu’au premier rang », le général de Gaulle a su bâtir l’outil de défense de la France.

Garant de l’indépendance nationale, cet outil a démontré son efficacité tout au long de la Ve République. Dans les années 1990, il réussit avec succès sa première transformation et surmonte avec effi¬cacité le défi de la professionnalisation. La conjoncture budgétaire actuelle impose aux ar¬mées un second défi autrement plus rude : celui de la réduction du format et de la baisse des moyens.

Deux attitudes sont alors possibles. La première consiste en la résignation, et en une révision à la baisse de la défense française, de sa di¬plomatie et de ses prétentions internationales. Une autre, plus dynamique, consiste à préserver notre rang et notre indépen¬dance par l’introduction de mo¬dèles managériaux alternatifs où l’achat de capacités remplace l’acquisition des équipements eux-mêmes.

L’équipement n’a pas besoin d’être acquis pour être mis à la disposition. L’Etat locataire n’est pas plus démuni que l’Etat propriétaire dès lors qu’il reste un Etat efficace, assurant ses fonctions régaliennes et délivrant le service requis. Le CP demeure un contrat d’avenir et doit pouvoir contribuer, à sa propre mesure, à l’avenir de la Défense française.


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